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Alphonse Daudet
L’volution
de Daudet
Alphonse Daudet, n Nmes en 1840,
est lve du lyce Ampre Lyon;
mais ses
parents, commerants en soieries, se ruinent; et il doit renoncer au
baccalaurat. Aprs un sjour au collge d’Als comme matre d’tude,
il
rejoint son frre Ernest Paris,
o il mne une vie de bohme; il publie en 1858 un recueil de vers, Les Amoureuses. En 1860, il entre comme
secrtaire chez le duc de Morny, qui lui laisse beaucoup de loisirs. Il
frquente les salons, crit des contes, des chroniques, fait applaudir
l’Odon La Dernire Idole et
recueille des “fantaisises” sous le titre Le
Roman du chaperon rouge (1862). En 1868, il publie un roman
semi-autobiographique, Le Petit Chose, o
sont transposs ses souvenirs d’Als. Il recueille ensuite en volumes
deux
sries de contes: les Lettres de mon
moulin (1869), o l’esprit parisien s’allie la posie ensoleille
de la
Provence, et les Contes du lundi
(1873), inspirs en partie par les vnements de la guerre
franco-allemande et
de la Commune. Il compose aussi un roman hro-comique, Tartarin
de Tarascon (1872) qui sera suivi de Tartarin sur les
Alpes et de Port-Tarascon,
et il fait reprsenter sans succs L’Arlsienne
(1873).
Daudet s’oriente alors dans une nouvelle
voie et devient un romancier des moeurs contemporaines. Son
premier roman
raliste, Fromont jeune et Risler an, triomphe
en 1874. Il peint ensuite les malchanceux (Jack,
1876); les puissants du jour (Le
Nabab, 1877); les souverains dchus (Les
Rois en exil, 1879); les politiciens (Numa
Roumestan, 1881); il dnonce les mfaits du fanatisme religieux
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(L’vangliste,
1883), dcrit les
coulisses de l’Acadmie (L’Immortel, 1890)
et mle l’observation sociale
des souvenirs de jeunesse (Sapho, 1884).
Il reoit ses amis dans sa proprit de Champrosay et guide quelques
jeunes
crivains qui le saluent comme un matre; mais il meurt, en 1897, d’une
maladie
de la moelle pinire.
Le talent
de Daudet
Daudet
emprunte l’observation la matire de ses oeuvres. Il enregistre
sur ses
“carnets” de petits faits significatifs, qu’il transpose dans ses
contes ou
dans ses romans de manire donner la sensation directe de la ralit.
Comme
les naturalistes, il peint l’humanit contemporaine dans son train de
vie
quotidien; et il s’intresse aux humbles: enfants malheureux (Le Petit Chose, Jack); dvoys et rats
(Fromont jeune et Risler an);
ouvriers et artisans des faubourgs.
Mais
Daudet possde une me sensible de pote. Il est toujours demeur
l’cart
du groupe de Mdan, dont il rprouve les prtentions scientifiques et
le
pessimisme desschant. Sans fermer les yeux aux misres ou aux
bassesses de la
socit, il voudrait tre un “marchand de bonheur”: aussi cherche-t-il,
mme
dans les existences mdiocres, des trsors de bont ou de dvouement.
Tout vit
et vibre sous sa plume. Son style enfin, ais, lumineux, mais parfois
aussi
nerveux et fbrile, nourri des sucs provenaux, exerce sa sduction sur
les
gens simples comme sur les lecteurs raffins.
L’oeuvre d’Alphonse Daudet se situe en
marge du naturalisme, par ses tendances ralistes plus manifestes, a
t
souvent victime des classements simplificateurs des historiens
littraires:
reprsentant de l’aile fantaisiste et sentimentale de l’cole, crivain
pour
les enfants, conteur attendri des coutumes provenales ou, au
contraire,
peintre d’un Midi caricatural. Un
certain
succs facile, d^surtout aux romans autobiographiques Le
Petit Chose et Jack -
rcits d’une adolescence douloureuse, qui ne manquent pas de
sensiblerie -
explique, en partie, ces tiquettes parfois htives qui placent les
livres de
Daudet la limite des deux rseaux qui s’interfrent dans le systme
de
production naturaliste: la grande littrature et la littrature de
consommation
ou la paralittrature.
Sa mthode de travail, fonde sur des
notes prises sur le vif, runies dans ses clbres “calepins”, le rle
accord
au ct documentaire, la prcision de l’observation, son idalisme
social le
rattachement aux meilleures traditions du groupe de Mdan. Il s’en
carte,
pourtant, par l’absence de proccupations thoriques, par le refus des
thmes
triviaux et des cas pathologiques ( l’exception du roman L’Evangliste,
tude d’une crise mystique), par sa vision potique
du monde, teinte d’ironie et d’humour, qui transpercent ses
commentaires
d’auteur.
Toute la cration littraire
d’Alphonse Daudet se trouve sous le signe d’un dialogue fertile entre
le Nord
et le Midi. N Nmes, en 1840, il
est
devenu, de bonne heure, un chroniquer passionn des moeurs parisiennes
sous le Second Empire. Les Lettres
de mon moulin trahissent non seulement son intrt pour le folklore
de la
Provence, auquel il tait intimement li par son adhsion au mouvement
des
Flibres, mais aussi des dons de conteur trs srs, l’instinct du
dtail, spontanit
et charme. La trilogie Tartarin de
Tarascon, Tartarin sur les Alpes, Port-Tarascon fait revivre tout
le
temprament mridional, la verve, l’imagination enflamme, le penchant
la
mystification et le got de la grandeur, traits qui se joignent dans un
type
comique au langage haut en couleur.
Les romans d’Alphonse Daudet
tmoignent de ses ambitions comme historien de la socit aussi grandes
que
celles d’mile Zola ou des Goncourt, au moins par la diversit des
sujets et
des milieux envisags: l’industrie et le commerce (Fromont
jeune et Risler an, 1874), la politique et les finances (Le Nabab, 1877, Soutien de famille, 1898),
le demi-monde et la bohme artistique (Sapho)
les souverains dtrns des petits pays europens (Les Rois
en exil), les cercles acadmiques (L’Immortel).
Ce sont la technique pointilliste de
la description et son instantanisme qui assurent, en dernire analyse,
son
originalit dans l’espace naturaliste franais. Selon Jacques Dubois (Romanciers franais de l’Instantan au XIXe
sicle), cette modalit artistique, propre aux frres Goncourt,
Alphonse
Daudet, Jules Valls et Pierre Loti, se caractrise par la
“sensibilit
oriente vers le subjectif”et la “fracheur du style”, par le
“foisonnement des
tableaux” et le “sens libre de la composition” et produit des effets
d’parpillement, de mouvement, d’intermittence. Un schma narratif qui
repose,
chez Daudet, sur un assemblage habile de documents, sur une alternance
des
plans du rcit et des intrigues parallles - bauche du simultanisme
du XXe
sicle -, la segmentation du texte romanesque en de nombreux chapitres
-
hritage de sa pratique de conteur et de journaliste -, en sont
redevables. Les
crits de courtes dimensions: la lettre, le reportage, l’anecdote, le
croquis, la
lgende (Lettres de mon moulin, Contes du
lundi, 1873), se prtent particulirement au style oral,
l’criture
rapide, nerveuse, la perception fugitive des sensations - marques de
l’impressionnisme littraire.
Si la doctrine esthtique du
naturalisme franais ne doit presque rien Alphonse Daudet, la
thmatique et
l’expression en sont visiblement enrichies.
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